Les virages de la F1

Les virages de la F1

Par Philippe Laguë

Anachronique, la Formule 1?

En cette ère de rectitude politique, nappée de préoccupations environnementales grandissantes, la question se pose plus que jamais. Outre la pollution sonore et atmosphérique qu’elle engendre, celle qu’on appelle la discipline-reine du sport automobile était, jusqu’en janvier dernier, une oligarchie dirigée par un promoteur-dictateur octogénaire; celui-ci distribuait ses Grands Prix comme des bonbons à des monarques et autres autocrates qui dirigent d’une main de fer leur pays (Abou Dhabi, Azerbaïdjan, Bahreïn, Chine, Russie…) au détriment de l’Europe occidentale, berceau historique de la Formule 1. La France n’a plus de Grand Prix, l’Allemagne non plus et le Grand Prix d’Italie a été confirmé in extremis le 29 novembre, soit la veille de la publication officielle du calendrier 2017.

Peut-on imaginer l’Italie privée de Grand Prix? Le royaume de Ferrari, l’écurie emblématique du sport automobile – et accessoirement, la marque automobile la plus connue et la plus prestigieuse de la planète, tous continents confondus? L’Italie, où les performances de la mythique Scuderia sont suivies à la loupe comme celles du Canadien chez nous?

Et que dire de l’Allemagne, privée de Grand Prix cette saison, comme en 2015? On parle ici de la mère-patrie des deux plus grands champions des 20 dernières années, Michael Schumacher et Sebastian Vettel, qui totalisent à eux seuls 11 titres de champion du monde! Depuis 1994, année du premier sacre de Schumacher, ces deux pilotes ont gagné la moitié des championnats. Et le champion en titre, Nico Rosberg, est Allemand lui aussi; avant de prendre sa retraite, fin 2016, il pilotait pour une équipe germanique, Mercedes, qui domine la F1 sans partage depuis trois ans. Pourtant, l’Allemagne n’a pas de Grand Prix en 2017…

Bernie Ecclestone

Ces délocalisations cachent, on s’en doute, des histoires de gros sous. Explication rapide : l’appétit de Bernie Ecclestone, le promoteur-dictateur évoqué plus haut, n’avait aucune limite. À 86 ans, « Mr. E » sentait la fin approcher – celle de son règne, de sa vie, voire les deux – et de toute évidence, il voulait faire sauter la banque avant de partir. (Rappelons qu’une partie des actions de la F1 ont été vendues à un consortium américain l’année dernière, ce qui a mené au départ d’Ecclestone en janvier.)

Avant l’arrivée de Liberty Media, le nouvel actionnaire de contrôle, la stratégie commerciale du Tsar de la F1 reposait sur une vision à court terme, qui consistait à aller chercher le plus d’argent possible en vendant ses Grands Prix à des pays dirigés par des régimes autoritaires n’ayant pas de comptes à rendre sur l’utilisation des deniers publics. (À titre d’information, sachez que Bernie nous a fait un prix d’ami à 17 millions $ par année, presque le tiers de ce qu’a payé Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, pour le sien.)

Ajoutez à cela des audiences télévisées en forte diminution et vous avez un portrait qui, à première vue, ne montre pas une discipline en pleine santé. L’apparition, il y a deux ans, d’un championnat de voitures électriques, la Formule E, vient elle aussi renforcer cette perception. Numéro deux mondial du secteur pétrolier, Shell prévoit que le déclin du pétrole, le fameux pic, pourrait s’amorcer aussi tôt qu’à partir de 2021. On peut déjà imaginer le formidable levier que constituerait le début du déclin de cette industrie pour la commercialisation à plus grande échelle de véhicules hybrides et électriques. Et in extenso, pour la Formule E. Celle-ci a déjà réussi à attirer quelques constructeurs et pas les moindres (Jaguar, Audi); il ne lui manque que des pilotes de renom.

Bref, tout semble indiquer que la F1 est démodée. Ringarde. « Passée date », comme on dit chez nous.

Et si c’était le contraire?

Le virage américain

Depuis que l’homme existe, il veut aller plus vite que ses congénères. À pied, à cheval, en vélo, en auto, sur l’eau et même dans les airs, il faut gagner la course et ou battre le record. Vaincre. Triompher. Être le premier.

Intrinsèquement, la F1 n’est donc pas ringarde puisqu’elle répond toujours à ce besoin de compétition, inné chez beaucoup d’êtres humains. Les Grands Prix représentent l’équivalent motorisé des Jeux olympiques et comme ceux-ci, la F1 est une entreprise planétaire où les investissements comme les revenus se calculent en milliards $. La rentabilité de ces gigantesques organisations sportives repose avant tout sur la notoriété et le prestige; or, à ce chapitre, la F1 se classe dans le trio de tête, avec le football de la FIFA et les Jeux olympiques. La discipline-phare du sport automobile jouit d’une visibilité planétaire, avec 20 courses réparties sur quatre des cinq continents, entre mars et novembre (L’Afrique a perdu son seul Grand Prix, celui d’Afrique du Sud, en 1993). L’année dernière, elle a engendré des revenus de 1,9 milliard $, dépassant même la FIFA.

Dans l’immédiat, les États-Unis sont au sommet de la liste des priorités. Dans l’univers de la F1, ce pays incarne le village gaulois, qui résiste encore à l’envahisseur. Même si elle y est présente depuis 1959 - et malgré deux champions du monde américains, Phil Hill et Mario Andretti -, la F1 n’a pas réussi à prendre racine. Chez nos voisins du Sud, le sport automobile s’épelle en six lettres : NASCAR. Aux fines monoplaces européennes, les Américains préfèrent les stock cars, dont les formes s’inspirent vaguement des voitures de tous les jours; et ils penchent davantage pour les pistes ovales (speedways) que pour les circuits routiers. La présence de la F1 en sol étatsunien a même connu deux hiatus (1992 à 1999, 2008 à 2011), pendant lesquels il n’y pas eu de Grand Prix. Or, la F1 a besoin de s’implanter au pays de l’Oncle Sam, première économie mondiale. Bernie Ecclestone en a longtemps fait une obsession, en vain.

Les choses pourraient cependant changer dans un avenir rapproché. Les planètes n’ont jamais été aussi bien alignées : le nouvel actionnaire de contrôle de Formula One Group, Liberty Media, est un conglomérat des communications américain (Sirius XM, Discovery Channel, Starz). Son portefeuille comprend également Live Nation, géant de l’industrie du spectacle, le site Expedia et les Braves d’Atlanta, de la Ligue national de baseball. Et pour la première fois de ses 67 ans d’histoire, la Formule 1 est dirigée par un Américain, Chase Carey, ex-bras droit du baron des médias Rupert Murdoch. Ces bouleversements surviennent au moment où les audiences de la toute-puissante NASCAR sont en baisse, tandis que l’IndyCar, sorte de F1 à l’américaine, ne fait parler d’elle qu’un week-end par année, lors des 500 Milles d’Indianapolis. La table est mise.

Chase Carey

Rendons à César ce qui est à César : sans Bernie Ecclestone, la Formule 1 ne serait pas devenue l’un des sports les plus suivis sur la planète. Avant qu’il en prenne les commandes, c’était un country club qui évoluait en vase clos, réservé aux dandys et à des mercenaires en quête de sensations fortes. Une version dangereuse (et plus bruyante) du polo, en quelque sorte… Ecclestone en a fait une multinationale du sport mais après 40 ans de règne, le temps est venu de passer le flambeau. Véritable dinosaure, « Mr. E » comprend mal les nouveaux médias, pour lesquels il ne cachait pas son aversion; avec Liberty Media aux commandes, il faut s’attendre à une métamorphose médiatique de la F1.

Le virage jeunesse

Le nouveau patron, Chase Carey, n’en a pas fait de secret : la Formule 1 aura une présence accrue sur les médias sociaux. Cette nouvelle stratégie, combinée à l’arrivée d’une nouvelle génération de pilotes, devrait lui permettre de rajeunir l’auditoire de la F1. Les milléniaux sont clairement ciblés et Liberty Media pourra compter sur ses ressources et son expertise pour les attirer.

De retour au calendrier depuis 2011, le Grand Prix des États-Unis est désormais disputé à Austin, au Texas, Mecque des hipsters dans le sud du pays. De plus, Liberty Media a déjà émis le souhait d’ajouter deux autres courses en sol américain, ce qui ferait des États-Unis le premier pays à accueillir trois Grands Prix en une saison. Les côtes Est et Ouest, qui ont déjà eu chacune leur course, sont dans le viseur.

À l’ère du sport-spectacle, les pilotes demeurent au centre de la stratégie marketing de la F1 : les fans veulent voir le ténébreux Alonso, le flamboyant Hamilton, l’imperturbable Raikkonen, le sympathique Vettel… Tous des champions du monde, de surcroît. Seul hic : ce sont aussi des vétérans. Raikkonen, Alonso et Hamilton ont respectivement 37, 35 et 32 ans… Même Vettel, à 29 ans, fait déjà figure de vieux routier, avec ses quatre couronnes de champion du monde.

Max Verstappen

Aujourd’hui, la tendance est à la jeunesse, si l’on en juge par l’arrivée de plus en plus précoce des pilotes de F1. Débarqué en F1 à 17 ans, alors qu’il n’avait même pas de permis de conduire (!), l’espoir Max Verstappen n’a pas mis de temps à éclore : dès sa deuxième saison, en 2016, il a remporté son premier Grand Prix, devenant ainsi, à 18 ans, le plus jeune vainqueur de l’histoire de la F1. Un sauveur est né : rapide, spectaculaire et un brin insolent, le Néerlandais est devenu la nouvelle coqueluche des fans. En Hongrie et en Belgique, pays limitrophes du sien, il a clairement contribué à faire vendre davantage de billets.

L’ordre établi est encore plus bousculé cette saison : d’autres jeunes pousses viennent se frotter à « Mad Max » et aux vétérans. Nouveau pilote de l’écurie Williams, le Montréalais Lance Stroll, qui vient de célébrer ses 18 ans, est maintenant le benjamin du plateau; le Français Esteban Ocon, 20 ans, a été recruté par Force India et le Belge Stoffel Vandoorne, 24 ans, est le nouveau coéquipier de Fernando Alonso chez McLaren. Et n’oublions pas que Carlos Sainz Jr, Pascal Wehrlein et Daniil Kvyat n’ont que 22 ans…

Lance Stroll

Avec les départs de Nico Rosberg et Jenson Button, nouveaux retraités, il n’y a que 5 pilotes (sur 22) dans la fourchette des 30-35 ans cette saison. Le changement de garde est bien amorcé. Ce bouleversement hiérarchique et générationnel, combiné à une nouvelle stratégie médiatique, devrait rajeunir le bassin d’amateurs.

Le virage féminin

Si la Formule 1 veut élargir encore plus son audience, elle devra s’ouvrir aux femmes. Encore une fois, le récent départ de Bernie Ecclestone, macho indécrottable ne dédaignant pas les propos incendiaires (voire carrément misogynes), devrait amener une bouffée d’air frais. Cela dit, le sport automobile, contrairement à d’autres disciplines, n’a jamais fermé la porte aux femmes. Et elles n’ont pas fait que de la figuration : la Française Michèle Mouton, par exemple, a connu une fructueuse carrière en Championnat du monde des rallyes, signant quatre victoires et terminant même vice-championne en 1982.

En Formule 1, l’Italienne Maria Teresa de Filippis a disputé cinq Grands Prix (dont deux hors-championnat) dans les années 50, sur Maserati. Secouée par la mort de son compatriote Luigi Musso, dont elle était très proche, elle a mis fin à sa carrière professionnelle l’année suivante, en 1959. Dans les années 70 et 80, trois autres femmes ont cogné à la porte de la F1 : l’ex-skieuse britannique Divina Galica, la Sud-Africaine Désiré Wilson et l’Italienne Lella Lombardi. Seule la dernière a réussi à disputer quelques Grands Prix, les deux autres ne parvenant pas à se qualifier.

Lella Lombardi

Lella Lombardi a non seulement disputé une douzaine de Grands Prix en 1975 et 1976, mais elle demeure, à ce jour, la seule femme ayant inscrit un point en F1. Un demi-point, précisément, pour sa sixième place au Grand Prix d’Espagne en 1975; la course a dû être interrompue et seule la moitié des points a été attribuée (la sixième place valait un point à cette époque).

Lella Lombardi et Désiré Wilson ont aussi gagné des épreuves dans les championnats réservés aux courses d’endurance, démontrant ainsi un réel talent. Une autre Italienne, Giovanna Amati, tenta à trois reprises de se qualifier, en 1992, mais elle n’y parvint pas et son passage en F1 fut, disons-le, anecdotique. L’écurie Brabham était à l’agonie et tenta un coup publicitaire en l’embauchant, espérant attirer des commanditaires. Mais le palmarès de l’Italienne était bien mince – elle n’avait pas réussi à se qualifier une seule fois en deux saisons de Formule 3000 – et elle défraya surtout la rubrique mondaine, la rumeur lui prêtant des liaisons avec le triple champion du monde Niki Lauda et le sulfureux patron de l’écurie Benetton, Flavio Briatore…

Sur une note plus sérieuse, l’écurie Williams, une des plus titrées, est aujourd’hui dirigée par une femme : Claire Williams, fille de Frank, fondateur de l’écurie éponyme et figure emblématique de la F1. Il en est de même pour l’écurie helvétique Sauber, naguère réputée pour son austérité et qui est maintenant dirigée, elle aussi, par une femme : l’avocate indo-autrichienne Monisha Kaltenborn, qui en détient également le tiers du capital. Sur ce plan, la F1 est en avance sur la LNH, la NFL, la NBA et la plupart des circuits de sport professionnel.

Il ne manque qu’une pilote sur la grille de départ… Depuis 2010, deux femmes, l’Espagnole Maria de Villota et l’Écossaise Susie Wolff, ont occupé le poste de pilote-essayeur, la première avec la défunte écurie Marussia et la seconde avec Williams, sans toutefois prendre part à un Grand Prix. Ni l’une ni l’autre n’avait, il faut bien le dire, les états de services requis pour mériter un volant régulier en F1. Il s’agissait avant tout d’un coup de publicité, destiné à attirer des commanditaires.

Encore une fois, le salut pourrait venir de l’Amérique, où des femmes ont connu de belles carrières en sport automobile. Parmi les pionnières, mentionnons la reine des courses d’accélération Shirley Muldowney, triple championne NHRA (1977, 1980 et 1981) et Janet Guthrie, première femme à prendre part aux 500 Milles d’Indianapolis. Elles ont ouvert le chemin pour Sarah Fisher et surtout, Danica Patrick, véritable superstar aux États-Unis, où elle court en Sprint Cup, catégorie-reine de la NASCAR, depuis 2013. Elle est aussi la première (et la seule) femme à avoir gagné une course de la série IndyCar, en 2008.

Danica Patrick

Parions que les nouveaux patrons américains de la F1 rêvent déjà d’une Danica Patrick en F1 : l’impact médiatique serait énorme si une femme décrochait un volant régulier en F1 – encore plus si elle remportait un Grand Prix! L’un et l’autre pourraient se concrétiser d’ici peu.

Le virage vert

La Formule 1 a aussi effectué son virage vert en se convertissant aux moteurs hybrides, il y a deux ans, fortement encouragée par les manufacturiers automobiles. Ici, une mise au point s’impose : l’affirmation voulant que la F1 serve de laboratoire à l’industrie automobile relève, en partie, du mythe. Elle a plutôt servi à perfectionner des dispositifs d’abord conçus pour des véhicules de grande série, tels que les freins antibloquants (ABS) ou l’antipatinage. Tout comme il y a eu des véhicules hybrides sur nos routes 15 ans avant que la F1 n’emboîte le pas.

Historiquement, le rôle de laboratoire incombe aux courses d’endurance (6, 12 ou 24 heures). L’exemple des freins à disques est bien connu : conçus pour l’aviation, ils ont été adaptés à l’automobile par Jaguar aux 24 Heures du Mans, dans les années 50. Depuis, ils sont devenus la norme pour les voitures de monsieur et madame Tout-le-monde. Jusqu’aux années 70, le Championnat du monde des marques, dans lequel s’affrontaient les manufacturiers automobiles, se disputait dans les épreuves d’endurance, tandis que le Championnat des pilotes avait pour théâtre la Formule 1.

Plusieurs coureurs faisaient d’ailleurs la navette entre les deux championnats : pour le plaisir, l’argent, le prestige… Ou toutes ces raisons. Gagner les 24 Heures du Mans, à l’époque, assurait une notoriété équivalente, ou presque, à un titre de champion du monde. Encore aujourd’hui, l’épreuve mancelle fait partie de la « Triple couronne » du sport automobile, avec le Grand Prix de Monaco (F1) et les 500 Milles d’Indianapolis (IndyCar).

Cette filiation entre les courses d’endurance et les grands constructeurs (Ford, Ferrari, Jaguar, Porsche, etc.) était au demeurant plus cohérente : la vitesse était un des facteurs, certes, mais il fallait aussi gérer les pneus, la consommation, la durabilité de la mécanique… Tandis qu’une course F1 était avant tout une affaire vitesse. La différence entre les deux disciplines était aussi marquée qu’entre un marathon et un sprint.

De sa création, en 1950, jusqu’aux années 80, la F1 a ainsi été centrée sur les pilotes; les monoplaces et leurs moteurs n’étant que des accessoires servant à les mettre en valeur. Les constructeurs de l’époque étaient des artisans qui, à une ou deux exceptions près, ne fabriquaient pas de voitures pour le commun des mortels : BRM, Brabham, Tyrrell, March, McLaren, Williams… Certes, Ferrari et Lotus construisaient aussi des voitures de série mais il s’agissait essentiellement de sportives, vendues à petite diffusion. Leurs fondateurs respectifs, Enzo Ferrari et Colin Chapman, n’ont jamais caché que cette production servait à financer leurs activités en course automobile.

Le rôle de plus en plus dominant des grands constructeurs automobiles en F1, au tournant du 20e siècle, a complètement changé la donne. Cantonnés, au début, dans le rôle de motoristes, ils ont commencé à racheter des équipes. Certains avec succès, d’autres moins : pour Toyota et Jaguar, notamment, cette incursion s’est soldée par un fiasco. D’autres (Renault, Honda) ont quitté la F1 pour y revenir, repartir et encore revenir…

Lance Stroll

Cette implication directe des constructeurs a également entraîné une escalade des coûts fatale à plusieurs écuries. Tout a explosé : les sommes investies en recherche et développement, les montants des commandites, les salaires des pilotes et des ingénieurs… Les écuries fonctionnent avec des budgets surréalistes, qui se calculent en centaines de millions $. La Fédération internationale de l’automobile (FIA) - l’organisme régissant notamment le sport automobile - essaie désespérément de faire diminuer les coûts mais ses intérêts divergent souvent de ceux des écuries – sans compter que ces dernières n’arrivent pas à s’entendre entre elles.

La FIA a cependant réussi à imposer la motorisation hybride, de concert avec les grands constructeurs automobiles, qui utilisent cette technologie depuis des années pour leurs voitures de route. Tous les acteurs du milieu le reconnaissent et dans un rare élan d’unanimité, tous les acteurs s’entendent : les V6 turbo hybrides (essence-électricité) sont là pour rester, d’autant plus qu’ils ont permis de réduire la consommation des bolides de F1 de 30 à 35%, selon les estimations. Il en va de la pertinence de la F1 de rester à la fine pointe de la technologie. La disparition des moteurs thermiques n’est pas pour demain, mais l’évolution est en marche : presque tous les constructeurs généralistes construisent des véhicules hybrides; même des marques associées à la vitesse (Ferrari, Porsche) se sont converties. Le succès de la firme américaine Tesla, pionnière de la voiture électrique, a par ailleurs forcé les constructeurs qui résistaient encore à investir dans cette technologie.

Et le virage électrique?

Dans la foulée de la commercialisation à plus grande échelle des premières voitures électriques est apparue, il y a deux ans, la Formule E, premier championnat de l’histoire du sport automobile à utiliser des monoplaces n’émettant aucune émission polluante. Si elle a connu un succès d’estime – on ne peut être contre la vertu -, elle demeure pour l’instant une curiosité et ne constitue en aucun cas une menace pour la F1. Les assistances n’ont rien à voir avec celles des Grands Prix, les audiences télévisées encore moins; à court ou moyen terme, la F1 peut dormir tranquille. Et si elle se convertit un jour à l’électricité, c’est plutôt la Formule E qui risque de disparaître. Ou de « fusionner » avec la F1, comme l’avaient fait quatre équipes de la défunte Association mondiale de hockey (AMH) en se joignant à Ligue nationale en 1979; ou les équipes de l’ABA (American Basketball Association) avec la NBA, deux ans plus tôt.

Dans l’immédiat, la Formule E, qui débarque à Montréal pour la première fois en juillet, souffre d’un déficit de prestige. Même en sport automobile, les vedettes sont faites de chair et de sang, et non de matériaux composites. Or, les têtes d’affiche de la Formule E sont, au mieux, des has been; au pire, des never been. Ses deux premiers champions, Nelson Piquet Jr et Sébastien Buemi, ont brièvement passé par la F1 sans jamais gagner un seul Grand Prix. Idem pour Stéphane Sarrazin, Jean-Éric Vergne, Jérôme D’Ambrosio, Lucas di Grassi, Nick Heidfeld... Rien pour déplacer les foules.

En guise de comparaison, piloter en Formule E est comme jouer au hockey en Suisse ou dans la KHL russe : les joueurs qui s’y retrouvent n’étaient pas assez bons pour atteindre la Ligue nationale ou pour y rester. Ou encore, c’est la dernière étape avant leur retraite.

D’aucuns diront que la Formule E n’a qu’à attirer deux ou trois gros noms pour menacer la F1. La recette a effectivement fonctionné pour l’IndyCar dans les années 90, sans toutefois ébranler l’hégémonie de la toute-puissante F1. Le cimetière du sport professionnel est par ailleurs peuplé de nombreux championnats, ligues ou séries qui ont tenté de bouleverser l’ordre établi : L’AMH, l’ABA, la USFL (United States Football League), Champ Car…

Outre ce déficit de prestige, l’autre problème qui afflige la Formule E est le même qui afflige les voitures électriques qui roulent sur nos routes : la faible autonomie, qui impose un changement de voiture en plein milieu de la course, soit après une trentaine de minutes. Les critiques parlent d’anticlimax, de procédure contre-nature… Peut-on imaginer un jockey troquant sa monture pour une autre au milieu d’une compétition?

Formule E

Après les voitures hybrides et électriques, pourrait-on voir des courses de voitures autonomes? Il faut d’abord faire la distinction entre voiture autonome – où l’utilisateur décide s’il veut conduire ou non - et voiture sans chauffeur. Carlos Ghosn, grand patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, prévoit l’arrivée de la voiture autonome pour 2020 et celle de la voiture sans chauffeur en 2025, rejoignant ainsi les prévisions de la firme d’analyse financière Morgan Stanley. Verra-t-on des F1 sans pilote d’ici 20 ans?

Sans verser dans la futurologie, on ne peut nier cette éventualité. Google et tous les constructeurs automobiles sont déjà en compétition pour être les numéros un de la voiture électrique et sans conducteur. Inévitablement, il y aura des courses de voitures sans pilote et ce sont peut-être les ingénieurs qui monteront sur le podium. « Impossible! » Vraiment? Qui aurait pensé qu’un jour, des gamers attireraient des milliers de personnes dans des amphithéâtres, comme des rock stars?

En attendant, la Formule 1 a encore de belles années devant elle. Loin d’être anachronique, elle n’aura jamais été aussi branchée sur son époque, avec le départ du dinosauresque Bernie Ecclestone et l’arrivée d’un changement de garde. Ce que vit la F1 en 2017 n’est rien de moins qu’une métamorphose : le moment, sachez-le, est historique.

Cet article a été publié à l’origine dans le numéro Printemps-été du magazine Nouveau projet.