Biographie : Ferruccio Lamborghini
Par Philippe Laguë
Au tournant des années 60, Ferruccio Lamborghini est un riche industriel italien dans la quarantaine, qui a fait fortune en construisant notamment des tracteurs qui portent son nom. Amateur de voitures et de belles mécaniques, il roule avec ce qui se fait de mieux à l’époque : Alfa Romeo, Lancia, Maserati, Mercedes 300 SL, Jaguar Type E… Bref, Ferruccio aime le beau.
Il roule aussi en Ferrari. Exaspéré par leurs caprices, il s’en plaint directement à Enzo Ferrari, lors d’une visite à son bureau. Lamborghini habite tout près, à Modène, et il n’est nullement intimidé par son vis-à-vis : ils ont tous deux été annoblis du titre de Commendatore par le gouvernement italien, en raison de leur réussite. Le Seigneur de Maranello considère cependant son client comme un parvenu et le traite avec mépris. Insensible à ses doléances, il finit par lui répondre : « Lamborghini, vous êtes peut-être capable de conduire un tracteur, mais vous ne saurez jamais conduire une Ferrari convenablement ». Il regrettera cette phrase pour le restant de ses jours…
Piqué au vif, Ferruccio Lamborghini décide de construire ses propres voitures. En jurant, bien sûr, qu’elles seront meilleures que les Ferrari. Et comme il a les moyens de ses ambitions, il fait construire une usine ultramoderne. Il recrute aussi des hommes de talent : Giotto Bizzarrini, Gian Paolo Dallara, Paolo Stanzani… Le premier jouit déjà d’une solide réputation, ayant participé à la conception de la légendaire Ferrari 250 GTO. Les deux autres sont de jeunes coqs : Dallara, qui arrive de chez Maserati, est dans la mi-vingtaine et Stanzani sort tout juste de l’université.
Les affaires ne traînent pas : la société Automobili Ferruccio Lamborghini voit officiellement le jour le 1er juillet 1963 à Sant’Agata Bolognese, à mi-chemin entre Bologne et Modène. Son premier modèle, la 350 GT, est présentée en mars 1964, au Salon de Genève (comme le seront toutes les Lamborghini). De facture classique, cette superbe GT dessinée par Franco Scaglione a tout ce qu’il faut, à commencer par un V12 sous le capot; mais elle ne révolutionne rien non plus. Pour lui donner un second souffle, Lamborghini augmente, dès l’année suivante, la cylindrée dudit V12, qui passe de 3,5 à 4 litres. La puissance grimpe elle aussi, pour atteindre 320 chevaux. La 350 GT devient ainsi la 400 GT.
Le coup de tonnerre se produit en 1966, avec le lancement de la Miura, une GT spectaculaire dont la conception révolutionnaire va faire école. Sa conception a été confiée à quatre jeunes intrépides qui n’ont pas encore 30 ans : aux Dallara et Stanzani se sont ajoutés le Néo-Zélandais Bob Wallace, qui devient le pilote-essayeur attitré de Lamborghini; et le designer Marcello Gandini, étoile-montante de la prestigieuse maison Bertone. Ferruccio Lamborghini trouve le projet trop audacieux mais le quatuor de jeunes coqs persiste et la maquette de la Miura finit par convaincre le grand patron.
Avec son V12 monté transversalement et placé au centre de la voiture, une solution jusque-là réservé aux voitures de course, sa carrosserie aussi moderne que sulfureuse et des performances qui font d’elle la voiture la plus rapide au monde, la Miura marque un point tournant, non seulement pour Lamborghini, mais pour l’industrie automobile : dans l’univers des sportives, on peut dire qu’il y a eu un avant et un après-Miura.
La barre est donc haute pour sa remplaçante mais Lamborghini frappe un autre grand coup avec la non moins spectaculaire Countach, présentée en 1971 au Salon de Genève. Avec ces deux modèles, la marque au taureau – signe zodiaque de son fondateur – est déjà assurée de passer à l’histoire. La suite sera plus chaotique, notamment en raison du premier choc pétrolier de 1973, qui porte un dur coup aux voitures puissantes. L’Italie vit aussi ses « années de plomb », marquées par l’agitation sociale et la violence. Ferruccio Lamborghini vend ses parts en 1973 et se retire dans son vignoble de Castiglione del Lago, près de Pérouse. Il meut d’une crise cardiaque en 1993, à l’âge de 76 ans.
Entretemps, la société Lamborghini a vécu des années chaotiques, changeant de mains une demi-douzaine de fois. La situation s’est stabilisée depuis son acquisition, en 1998, par le groupe Volkswagen, qui l’a placée sous la gouverne d’Audi. Depuis, Lamborghini ne s’est jamais aussi bien portée, avec des modèles qui continuent de frapper l’imaginaire et une production en constante progression.
Et dire que tout ça a commencé, selon la légende, avec une phrase mal placée d’Enzo Ferrari à l’endroit d’un de ses clients…