F1 : les pilotes les plus titrés

F1 : les pilotes les plus titrés

Par Philippe Laguë

Comment faire une liste des meilleurs pilotes sans être subjectif? En se basant uniquement sur les statistiques. Celles-ci ne disent cependant pas tout : des champions comme Alberto Ascari, Jim Clark et Gilles Villeneuve feraient sûrement partie de ce Top 10 si le destin n’avait pas brutalement interrompu leur carrière. Et comme dans les autres sports, les époques diffèrent. Depuis la création du championnat du monde de F1, en 1950, le nombre de Grands Prix par saison a augmenté et les pilotes sont devenus de véritables athlètes. Si le débat est ouvert, voyons d’abord ce que disent les chiffres.

10. Jack Brabham

Seulement 10 pilotes ont été sacrés champions du monde trois fois ou plus. Jack Brabham est l’un d’eux mais il demeure à ce jour le seul à avoir gagné un championnat au volant d’une voiture portant son nom (en 1966). Sa longévité n’est surpassée que par Graham Hill et le légendaire Fangio. Contraint de disputer une saison supplémentaire en 1970, à cause de la défection de dernière minute d’un de ses pilote (Jacky Ickx), il gagne un ultime Grand Prix et termine 5e au classement général, à l’âge vénérable de 44 ans! Il est aussi le premier pilote à être couronné champion au volant d’une monoplace à moteur arrière, la Cooper-Climax, en 1959. Cet anti-héros aux manières bourrues, allergique aux mondanités, préfère travailler sur ses voitures jusqu’aux petites heures du matin, même la veille d’une course! L’Australien remporte 14 Grands Prix mais connaît une longue disette (1960 à 1966), trop occupé à monter sa propre écurie. Autre particularité de Sir Jack : ses trois fils ont été pilotes, deux d’entre eux goûtant brièvement à la F1 (Gary et David). L’aîné, Geoff, a remporté les 24 Heures du Mans en 1993, tout comme David en 2009.

9. Nelson Piquet

Être un triple champion du monde devrait suffire pour faire l’unanimité auprès des fans de F1; pourtant, Nelson Piquet a toujours polarisé les opinions. Irrégulier, insouciant, voire paresseux… Il y a du vrai et du faux : fils de ministre, jeune, beau et talentueux, le Brésilien a un côté diva qui hérisse ses contemporains. En revanche, il assure : à sa troisième saison complète de F1, en 1981, il est couronné champion du monde. Il récidive deux ans plus tard. Chez Brabham, Piquet est dans son habitat naturel : aimé de ses mécaniciens, il est en symbiose avec son directeur technique, l’iconoclaste Gordon Murray. Malgré ses deux titres, le propriétaire de l’équipe, un certain Bernie Ecclestone, essaie de le négocier à la baisse. Piquet quitte alors pour Williams. La suite sera plus houleuse : certes, il est couronné champion une troisième fois, en 1987; mais la cohabitation avec Mansell a été difficile. Il quitte Williams la saison suivante et connaît une traversée du désert, ne gagnant aucune course pendant trois ans. Alors qu’on le croit au bout du rouleau, il relance sa carrière chez Benetton où il connaît deux saisons honorables. Il se retire finalement en 1991, à 39 ans, après 13 saisons et 23 victoires au compteur.

8. Niki Lauda

Grâce au film Rush, des millions de personnes qui s’intéressaient peu ou pas à la F1 connaissent maintenant les moments marquants de la trajectoire de Niki Lauda : sa riche famille qui le renie parce qu’il a choisi de faire du sport automobile; ses débuts laborieux; son arrivée victorieuse chez Ferrari; et, bien sûr, son terrible accident au Nürburgring en 1976 qui, en plus de le défigurer, faillit le tuer. Niki Lauda demeure, à ce jour, le seul pilote à être revenu en piste après avoir reçu l’extrême-onction. Le terme miraculé est un euphémisme : L’Autrichien est couronné champion (pour la 2e fois) l’année suivante! Assuré du titre, il se permet même le luxe de quitter Ferrari trois courses avant la fin de la saison… Enzo Ferrari avait fait l’erreur de croire que Lauda ne serait plus le même pilote après son accident. Passé chez Brabham, il perd sa motivation en constatant le manque de compétitivité de sa monture et quitte la F1 à la fin de la saison 1979. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais Niki Lauda a besoin d’argent pour financer sa compagnie aérienne et il décide de revenir en F1 en 1982. Deux ans plus tard, il est champion du monde pour la troisième fois. CQFD.

7. Jackie Stewart

Lorsqu’il prend sa retraite, en 1973, Jackie Stewart quitte avec le panache qui a toujours été le sien : il vient d’être couronné champion. Pour la troisième fois. De plus, son palmarès compte 27 victoires, ce qui fait de lui le meneur de tous les temps, devant l’immortel Fangio. Bien sûr, il aurait pu courir encore quelques saisons : à 34 ans, il est toujours au sommet de son art. Mais voilà, en bon Écossais, l’homme sait compter et pas seulement l’argent : il sait que la générosité du destin a des limites. Pendant sa carrière, il a vu un ou deux de ses contemporains mourir à chaque année, sinon plus (quatre en 1968, en F1 seulement). Son dernier GP devait aussi être son 100e : il s’arrête à 99, bouleversé par la mort de son coéquipier, François Cevert, lors de l’avant-dernière manche de la saison. L’écossais est généreux de son temps : même retraité, il poursuit son combat pour la sécurité des pilotes. Il devient non seulement le porte-étendard de cette cause, mais le plus grand ambassadeur de la F1. On dit de certains athlètes qu’ils sont plus grands que leur sport : Sir Jackie Stewart est de ceux-là.

6. Ayrton Senna

Est-ce le plus grand? Ils sont nombreux à le penser, même si quelques – rares – pilotes ont plus de titres et/ou plus de victoires. S’ils ont pu le dépasser, c’est parce que la trajectoire de Senna a été brutalement interrompue, en ce sombre 1er mai 1994, à Imola. Le Brésilien n’avait que 34 ans, il était le pilote à battre et conduisait la meilleure F1 du plateau. Senna vivant, Schumacher aurait-il été champion en 1994 et 1995? Rien n’est moins sûr. En 10 ans, « Magic » a remporté le quart des GP auxquels il a pris part, en plus de collectionner les poles positions. Les chiffres sont éloquents (trois championnats, 41 victoires, 65 poles) mais la légende Senna les transcende : à monture égale, il était imbattable. Incapables de le battre en piste, ses rivaux ont utilisé la guerre psychologique pour le déstabiliser : Piquet d’abord, Prost ensuite. Non sans succès, mais ce faisant, ils ont sali la F1 en créant un climat toxique – auquel a aussi contribué Senna, forcé de se défendre. Les controverses sont indissociables de sa carrière et les opinions sont tranchées : intimidateur pour les uns, victime pour les autres. La vérité se trouve quelque part entre les deux mais une chose est sûre : Ayrton Senna était un géant.

5. Lewis Hamilton

La trajectoire de Lewis Hamilton évoque immanquablement celle de Senna : trois couronnes de champion en 10 saisons, 55 victoires (devancé seulement par Schumacher) et 64 poles. Son début de parcours évoque aussi celui de Jacques Villeneuve : vice-champion à sa première saison et le titre l’année suivante. La suite sera plus heureuse, Hamilton n’ayant jamais connu de saison sans gagner au moins une course. Une telle feuille de route suffit amplement pour passer à la postérité mais l’histoire retiendra que le Britannique a été le premier Noir à accéder à la F1. Le parallèle avec Tiger Woods est inévitable : contrairement à Mohammed Ali, Woods et Hamilton se sont imposés dans des sports qui avaient toujours été des chasses-gardées de l’élite blanche. La légende Ali dépasse toutefois largement le cadre de la boxe; Woods et Hamilton n’ont pas cette stature. Le Britannique a néanmoins été le premier pilote de F1 à faire la douloureuse expérience du racisme. Pas de façon aussi brutale qu’un Jesse Owens ou un Jackie Robinson, certes; mais la couleur de sa peau en indispose plusieurs. Un bref coup d’œil aux médias sociaux suffit pour la constater. Heureusement, Hamilton est au-dessus de tout ça. Comme les plus grands.

4. Sebastian Vettel

Avant de parler des récentes difficultés de Sebastian Vettel, retenons d’abord qu’il fait partie du cercle très restreint des pilotes ayant gagné plus de trois championnats. Il est également 4e pour le nombre de victoires (45) et de poles (47). Sa place au Panthéon de la F1 est donc déjà assurée. Or, ne l’oublions pas, Vettel n’a que 30 ans! S’il retrouve enfin une monture à sa hauteur, il peut encore garnir son palmarès. Comme Hamilton avant lui, son ascension est météorique : à sa première saison complète, en 2008, il remporte son premier GP sous la pluie, à Monza (la seule victoire de Toro Rosso à ce jour). Promu chez Red Bull, il règne sans partage, avec quatre championnats consécutifs. Ce surdoué semble toutefois perdre ses repères avec l’arrivée des moteurs hybrides. En 2014, il ne remporte aucune course, alors que son nouveau coéquipier, Daniel Ricciardo, en gagne trois. Recruté par Ferrari, Vettel redevient Vettel en 2015 mais s’écroule la saison suivante – mal servi, il est vrai, par une monoplace ratée. Parmi ses contemporains, Alonso et Hamilton ont gagné des courses même s’ils n’avaient pas la meilleure voiture. Vettel est-il de cette trempe? À suivre…

3. Alain Prost

Grand pilote, petit homme : voilà la formule - assassine - qui résume bien Alain Prost. Même chez lui, il a été un mal-aimé, au point de quitter la France avec fracas, dans les années 80, pour s’établir en Suisse. Avec lui, les séparations se font toujours dans la douleur : il quitte Renault et McLaren dans la controverse (euphémisme!) et Ferrari le congédie sans ménagement avant la fin de la saison 1991. Le Français avait osé comparer sa voiture à un camion, un sacrilège pour la Scuderia. Ainsi est Prost : franc, tout d’un bloc, mais incapable de laver son linge sale en famille. Grand manipulateur, il se sert des médias pour passer ses messages et régler ses comptes. C’est aussi un adepte de la guerre psychologique, qu’il élève au rang d’art – non sans ternir l’image de la F1. Qu’importe la manière, Prost veut gagner. Hors-piste, il se construit une réputation de braillard et de magouilleur. Après sa retraite, il rachète Ligier et devient propriétaire d’écurie mais l’aventure Prost Grand Prix est un fiasco. Un autre œil au beurre noir… Cela dit, Prost a aussi ses partisans : contrairement à Schumacher, il ne s’est jamais comporté de manière dangereuse en piste. Et son palmarès inspire le respect : quatre championnats du monde et 51 victoires.

2. Juan Manuel Fangio

« Tu te prends pour Fangio? » Celle-là, tous ceux qui avaient le pied un peu trop pesant l’ont entendu souvent et longtemps. Même l’épouse d’Alain Prost a déjà lancé cette phrase à son mari, qui était déjà pilote de F1! Juan Manuel Fangio, il est vrai, a été le premier coureur automobile dont la renommée a dépassé celle du cercle des initiés. Son record de cinq championnats (dont quatre consécutifs) a tenu pendant 45 ans. Et si celui de ses 25 victoires a été surpassé plus rapidement, ce n’est que parce que le nombre de Grands Prix par saison a augmenté dans les décennies suivantes. Après avoir été une gloire nationale avant et après la Seconde Guerre mondiale, l’Argentin débarque en F1 en 1950 (première année d’existence de ce nouveau championnat), à l’âge de… 39 ans! Autre époque… Qu’importe, il fera une bouchée de tous ses adversaires, à l’exception d’Ascari (fauché en pleine gloire) et de Stirling Moss. À sa dernière saison complète, en 1957, il dispute une course d’anthologie sur le Nürburgring, , véritable mesure-étalon des circuits, en effectuant une remontée homérique, pendant laquelle il bat son propre record du tour huit fois, pour finalement l’emporter. La messe était dite. Fangio n’a disputé que quelques courses la saison suivante et s’est retiré, à l’âge vénérable de 46 ans.

1. Michael Schumacher

Commençons d’abord par le palmarès. Michael Schumacher a pratiquement réécrit le livre des records de la F1 : 7 championnats, 91 victoires, 68 poles, 77 meilleurs tours, 155 podiums… La liste est longue. Le hic, c’est que celle des controverses qui ont jalonné sa carrière l’est encore plus! Si les dérapages du duel Prost-Senna ont entaché la F1, Schumi, lui, l’a déshonorée. Rappel des faits : il gagne son premier championnat en provoquant délibérément un accrochage avec Damon Hill, en Australie, en 1994, annonçant ainsi ses couleurs. Il tente la même manœuvre avec Jacques Villeneuve en 1997, en Espagne – sans succès, cette fois. Puis commence le règne Ferrari : le Baron rouge remporte cinq titres d’affilée entre 2000 et 2004. Encore une fois, sur fond de controverses : la Scuderia pousse le concept des « consignes d’équipe » jusqu’à l’absurde en forçant, par contrat, le second pilote de l’équipe à ne pas attaquer Schumacher, à lui céder le passage s’il est en tête et même à ralentir le peloton derrière! Irvine, Barrichello et Massa seront ainsi réduits au rôle de faire-valoir. La FIA est forcée de sévir après le tristement célèbre GP d’Autriche 2002 : meneur depuis le début, Barrichello est forcé, par son équipe, de céder le passage à son chef de file dans le dernier virage du dernier tour. Pathétique... Sanctionné plusieurs fois par la FIA, l’Allemand est incorrigible, comme en témoigne sa manœuvre lors des qualifications du GP de Monaco, en 2006 : tout juste après avoir réalisé le meilleur temps, il simule un incident pour forcer l’agitation du drapeau jaune, forçant ainsi les autres pilotes à ralentir. Son comportement en piste lors de son deuxième séjour en F1 (2010-2012) prouve qu’il n’a pas changé. Aussi tragique soit-elle, sa fin de vie ne peut faire oublier qu’il a été le plus petit des grands.